vendredi 25 mars 2016

Eikenott Gland : Une Reine nous a quittés - pensées vers ailleurs

L'étincelle avait jailli, instantanément, dès notre première rencontre, elle sur son fauteuil roulant poussé par son bien-aimé fils, moi sur mon moyen auxiliaire 4 roues entre fruits et légumes de la Coop D'Eikenott. 

Etincelle de connaissance, de reconnaissance, d'instantanéité, au premier regard, celle qui fait qu'avant le premier mot échangé, on "sait" l'autre. Les musiciennes savent entre-elles entendre les sons de l'âme.

"Venez me voir, venez me voir, cela me fera plaisir" disait-elle en gardant ma main dans la sienne.

Un chevalet, une partition de Bach sans leur violon, ce meilleur ami de vie qu'elle avait tenu dans ses bras si souvent et si longtemps, avait déjà été vendu. Cette musique qu'elle ne pouvait plus écouter car tous les sons se mélangeaient dans ses oreilles ne pourrait plus apporter consolation ni soulagement à ses souffrances.

Délicates peintures sur porcelaine que ses mains autrefois habiles avaient peintes.

Port de Reine essoufflée au moindre mot ou geste, élégance naturelle, intelligence et lucidité rares me montraient les vestiges d'un passé qu'il est bien difficile de ne plus pouvoir insérer dans un présent fait de solitude, malgré les visites fréquentes de ses enfants ou des miennes.

"C'est mortel ici, un cimetière, il n'y a rien" disait-elle souvent parachutée dans un quartier où chaque rigole représentera handicap et douleurs. 

De petites gâteries l'après-midi dans son frigo, de quelques fleurs pour égayer son quotidien ou de repas préparés chez moi que nous mangions ensemble parfois le dimanche, dont elle reprendra trois fois, elle qui ne mangeait plus que du bout des lèvres ceux livrés par le CMS. Et surtout cette main, la mienne, qu'elle aimait garder dans la sienne, le plus longtemps possible. 

Elle m'aura appris beaucoup, pour la défendre, pour défendre des droits élémentaires pour tous, le droit au respect, à la considération, à la sécurité. A subir les foudres d'un dicastère social qui jugera indécent que j'ouvre le frigo d'une personne de 90 ans pour m'apercevoir qu'il était totalement vide un jour avant Noël, le CMS ayant renoncé à lui faire ses courses ce jour là, débordé, sans prévenir personne, ni ses enfants, ni elle-même. Qui jugera aussi que je peins le diable sur la muraille en dénonçant le danger constant et quotidien généré par ces rigoles tous les trois mètres pour les personnes âgées. Elle m'apprendra aussi à harceler le chauffagiste au téléphone pour qu'il ne laisse pas des petits-vieux avec 17 degrés pendant 10 jours de fêtes alors que tous les bureaux seront fermés.

Elle m'apprendra, elle qui se retrouvera par terre sans pouvoir se relever pendant de longues heures, à me battre et me révolter contre l'absence totale de moyen d'alarme d'urgence possible ici. Elle sera finalement transportée dans un EMS à Nyon peu de temps après.

Celui qui est témoin d'injustice ou de maltraitance et ne le dénonce pas est complice. Elle m'aura appris à ne plus craindre des élus, des constructeurs, des propriétaires, technocrates jusqu'au bout des ongles, qui n'auront aucun état d'âme face à leur irresponsabilité ni aucune conscience des souffrances que leurs décisions génèrent et ne se penchent sur le terrain qu'avec talons, vêtements de marque, parfum et porteur ou délégations d'auto-satisfaction d'architectes aveugles. Que dire de conseillers communaux bien à l'abri sur les allées plates des PPE qui vous bloquent sur Twitter parce que "A trop en faire vous n'êtes plus crédible". L'est-on à ne rien faire et à fermer les yeux sur la réalité ?


Elle me dira être fière d'avoir été l'héroïne de deux de mes vidéos dans ce combat et d'avoir pu y participer.

Eikenott Gland en fauteuil roulant


Eikenott Gland en Rollators


Au revoir ma Reine, ceux qui se reconnaissent se reconnaîtront et se reverront encore, ailleurs. Je vous le promets, je continuerai, jusqu'à mon dernier souffle aussi, jusqu'à ce qu'il ne reste plus 10 centimes dans mon escarcelle que l'AJ estime suffisante. Rebelle, indocile, comme vous saviez l'être. Et maintenant que vous pouvez à nouveau l'entendre sans que tous les sons se mélangent, je vous envoie ce Concertino Narrativo que j'aurais tant aimé pouvoir vous entendre jouer :

Concertino Narrativo : V. Petsalis



Le Tigre

1 commentaire:

  1. Un bel hommage pour cette "Reine" amie qui en a vu des vertes et des pas mûres qui foisonnent dans cet endroit où l'humanité rencontre l'inhumanité.
    Mille pensées vers elle et toi bien sûr pour ce combat qui continue.
    La musique y contribue

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